RECHERCHES

RECHERCHES EN SCIENCES SOCIALES SUR L’AUTISME

Depuis 2002, nous nous intéressons aux transformations des représentations de l’autisme et de ses modes d’accompagnement. Les changements de définition et de représentations de l’autisme ont été étudiés à la fois dans le milieu psychiatrique, chez les familles et les personnes autistes qui s’expriment.

• Changements des catégories psychiatriques et de la définition de l’autisme
Un premier travail a consisté à analyser l’élargissement des critères diagnostiques de l’autisme dans les différentes classifications (internationales, américaines et françaises) et leurs conséquences. Depuis les années 90, les représentations de l’autisme ont connu de profondes transformations. Autrefois considéré comme une maladie rare, sévère et incurable, l’autisme est devenu, avec la création de la catégorie des troubles envahissants du développement (TED), puis des troubles du spectre autistique (TSA), un syndrome incluant des sujets sans langage avec des problèmes de communication sévères mais aussi des personnes avec des capacités cognitives et langagières présentant des difficultés d’interactions sociales et des intérêts restreints (Chamak, 2005, 2007, 2010 ; Chamak & Cohen, 2003).
Plus largement, Les transformations des classifications des maladies dites « mentales » ont redéfini non seulement l’autisme, mais aussi le syndrome bipolaire, l’hyperactivité, la phobie sociale, etc. Les frontières entre le normal et le pathologique ont été modifiées et ont conduit à une augmentation sans précédent des diagnostics de ces pathologies chez les enfants et les adolescents (Chamak & Cohen, 2013).

• Les modes d’accompagnement et les méthodes d’interventions
Les modes d’accompagnement et les méthodes d’interventions ont été étudiés, par une approche ethnographique, dans plusieurs services, écoles et structures des systèmes sanitaire, médico-social, médico-éducatif et de l’Éducation nationale en France et au Québec pour une comparaison internationale. Une première subvention de la Fondation de France, obtenue en 2004, a permis de comprendre le fonctionnement concret des lieux où étaient accueillis des enfants autistes grâce à des observations quotidiennes et des entretiens avec les personnels et les familles. Dix structures ont été explorées en France : six établissements publics (deux hôpitaux à Paris, quatre en province) et quatre établissements privés à Paris, dont deux hôpitaux de jour.
A Montréal, l’hôpital Rivière-des-Prairies a fait l’objet de multiples observations depuis 2005, des entretiens avec les familles et des visites dans les écoles ont également été réalisés. Les entretiens avec les membres du personnel ont cherché à comprendre comment ils interprètent et donnent du sens à ce qu’ils font et à se familiariser avec leurs références théoriques qui conditionnent leurs attitudes à l’égard des enfants et des parents. Les entretiens avec les familles ont permis d’accéder à leur expérience, leur vécu et leur perception des relations avec les professionnels.
Les premières observations réalisées entre 2004 et 2006 ont montré que l’attitude optimiste des comportementalistes tranchait avec le pessimisme des psychiatres d’orientation psychanalytique. Mais les difficultés rencontrées conduisent au même processus d’usure et de culpabilisation des parents (Chamak, 2009). Ces derniers acceptent de moins en moins d’adopter des attitudes passives et résignées. Ils veulent choisir les modes d’accompagnement de leur enfant et réclament l’intégration scolaire.
Au Québec, l’analyse des rapports officiels, des observations ethnographiques dans un hôpital de Montréal, des entretiens avec les professionnels, les familles et les représentants d’associations de parents ont permis d’identifier de grandes transformations au début des années 2000, dans le sens d’une volonté d’offrir plus de services aux familles. Cependant, des changements de direction, de personnels et d’objectifs ont eu pour conséquence une diminution d’offres de services moins de dix ans plus tard. Nous avons analysé les politiques et les pratiques d’intervention en autisme et nous les avons replacées dans le contexte plus général des réformes du système de santé québécois (Chamak, 2016).

• Dynamique historique des associations de parents d’enfants autistes
L’analyse de la dynamique historique des associations de parents d’enfants autistes a bien montré les changements des revendications et des représentations (Chamak, 2008). Les associations de parents d’enfants autistes ont rapidement intégré la définition élargie de l’autisme, plus rapidement que ne l’ont fait les professionnels qui éprouvaient des réticences à enfermer l’enfant dans une catégorie et à poser un diagnostic souvent lourd de conséquences. En France, le décalage entre les représentations des parents et celles des professionnels est à l’origine de vifs débats. La dernière génération d’associations est résolument orientée vers les méthodes éducatives et comportementales intensives et l’intégration scolaire.

• Les associations de personnes autistes
Les personnes autistes adultes qui s’expriment et qui ont adhéré à une association sont souvent hostiles à la généralisation des méthodes comportementales intensives. L’étude des associations de personnes autistes au niveau international révèle une remise en cause de la représentation de l’autisme comme une maladie (Chamak, 2008, 2009, 2010). L’introduction du syndrome d’Asperger dans la catégorie « autisme » a modifié les images associées à l’autisme. Des adultes qui se sentaient différents mais ne comprenaient pas en quoi consistait leur différence se sont reconnues dans la description du fonctionnement autistique. Ils ont témoigné de leur expérience et ont tenté de changer l’image négative associée à l’autisme. Un nouveau mouvement social a émergé célébrant la « neurodiversité » en redéfinissant l’autisme comme une différence, un autre mode de fonctionnement cognitif (Chamak, 2010). Toutefois, l’association francophone de personnes autistes, Satedi, n’adopte pas de positions aussi radicales. Ses membres ont intégré la notion de handicap et adoptent une attitude de coopération avec les pouvoirs publics et non de résistance au modèle médical de l’autisme.

• Les récits de personnes autistes
Faire le choix de rendre compte de l’expérience subjective de l’autisme à travers l’analyse d’autobiographies, de divers écrits et témoignages de personnes autistes qui ont réussi à s’exprimer, c’est accorder de l’importance au point de vue de la personne autiste et à son récit. C’est aussi essayer de comprendre comment la personne autiste décrit et gère ses difficultés, quelles stratégies elle élabore, qui l’aide et comment, quelles techniques elle utilise pour modifier certaines représentations de l’autisme et comment s’établissent les interactions avec l’entourage et les professionnels. Les résultats obtenus ont été publiés (Chamak, 2005 ; Chamak et al. 2008).

• Les parcours de personnes autistes
Une deuxième subvention de la Fondation de France obtenue en 2005 nous a permis de reconstituer les parcours de plus de 200 personnes autistes de 4 à 45 ans grâce à une étude rétrospective faisant appel à un questionnaire rempli par les parents et des entretiens approfondis (Chamak et al. 2011 ; Chamak & Bonniau, 2013). Cette recherche a montré que l’annonce du diagnostic était plus précoce aujourd’hui mais que les parcours étaient plus morcelés avec une augmentation du recours aux méthodes comportementales intensives dans le privé. Pour les cas les plus sévères, les familles rencontrent de plus en plus de difficultés pour trouver une solution.

• Quête et annonce du diagnostic
Entretiens et questionnaires ont permis de recueillir les témoignages de parents concernant leur expérience de la quête et de l’annonce du diagnostic (Chamak et al. 2011 ; Chamak & Bonniau, 2013). Les parents sont souvent les premiers à repérer des signes inquiétants mais ont parfois du mal à trouver une réponse claire auprès des professionnels. Ils s’informent de plus en plus par l’intermédiaire d’internet et des associations de parents. Ils réclament un diagnostic précoce en espérant trouver un mode d’accompagnement spécifique.

• Médicaments et autisme
La composante médicale de l’autisme est importante puisque les maladies associées y occupent une place non négligeable. Par ailleurs, les problèmes d’ordre médical sont difficilement pris en charge par les médecins généralistes compte tenu des difficultés et des spécificités liées à l’autisme (cf. Traitement pharmacologiques dans l’autisme : appréhender et communiquer, Rapport annuel de l’Agence de biomédecine 2013). Bien qu’il n’existe pas à ce jour de traitement pharmacologique spécifique de l’autisme qui en cible directement la cause, des médicaments sont utilisés afin de traiter certains symptômes associés. Ces médicaments sont prescrits en fonction de l’expérience du clinicien et de sa connaissance de la littérature scientifique (entretien avec le Dr. Masse, 2005).
Les psychotropes figurent parmi les médicaments les plus consommés à travers le monde et le nombre d’enfants et d’adolescents à qui des psychotropes sont prescrits est en augmentation. Les médicaments prescrits sont en majorité des antipsychotiques de seconde génération (92%) et les indications de traitement sont des troubles du comportement (37,8%) incluant l’hyperactivité, des troubles de l’humeur (31,8%), l’autisme et les troubles apparentés (17,3%) et les troubles psychotiques (14,2%) (Olfson et al. 2006). Nous avons analysé l’articulation entre la construction de nouvelles catégories, l’élargissement des critères diagnostiques, et les liens entre certains pédopsychiatres et l’industrie pharmaceutique (Chamak, 2009, 2011).
http://www.agence-biomedecine.fr/rapport-annuel-2013

• Couverture médiatique de l’autisme
Les controverses autour de l’autisme étant fortement médiatisées, cette couverture médiatique a été analysée, notamment lorsque l’autisme a été reconnue Grande Cause nationale 2012 (Chamak, 2013).

• Autisme à l’écran
Une conception plus élargie de l’autisme a eu pour conséquence non seulement une augmentation du nombre d’autistes diagnostiqués et une plus grande visibilité médiatique de l’autisme mais aussi la publication de témoignages de personnes autistes et la production de films qui mettent en scène des personnes autistes qui parlent et qui ont des compétences particulières. Le film Rain Man a largement contribué à transformer les représentations de l’autisme et a suscité l’intérêt du grand public. Depuis les années 2000, les personnages présentant un syndrome d’Asperger se sont multipliés dans les films et les séries télévisées. Les difficultés à assimiler les codes sociaux, les situations d’incompréhension qui en découlent sont souvent mises en scène (Hal-SHS-01182764. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01182764/document)

• Modes d’interventions et évaluations
Nous avons étudié les différents modes d’interventions, leurs évaluations et les recommandations nationales et internationales en matière d’autisme. Nous avons analysé la littérature scientifique qui traite des modes d’évaluations des méthodes. Dans un contexte d’incertitude et de polémique, cette mise au point à permis d’interroger les discours sur l’efficacité des interventions et d’explorer les limites des applications de l’evidence-based medicine (Chamak, 2015).

• Autisme et précarité (projet en cours)
Élever un enfant autiste peut avoir un impact considérable sur la vie familiale en termes de stress parental, de qualité de vie, de vie professionnelle, de retentissement sur la fratrie, d’isolement et de conséquences financières. Lorsque les familles rencontrent des difficultés particulières liées à des conditions de précarité, la situation est encore plus critique. Pour aborder les effets de l’autisme sur les proches aidants et les aides apportées par les dispositifs mis en œuvre pour accompagner les familles et leurs enfants, nous avons choisi de nous intéresser au vécu des familles et aux modes d’accompagnement qui leur sont proposés en Seine-Saint-Denis et à Marseille.
La méthodologie comprend deux volets complémentaires : 1°) des entretiens approfondis avec les proches aidants pour mieux appréhender leurs vécus et leurs difficultés ; 2°) des observations ethnographiques dans les dispositifs d’accompagnement et des entretiens avec les professionnels (psychologues, psychiatres, chefs de service, éducateurs, enseignants, etc.) pour décrire le fonctionnement de ces services et comment ils s’organisent en contexte de pénurie.
Les entretiens avec les familles et les professionnels et l’analyse du fonctionnement des services et institutions permettront un croisement des discours, des pratiques et des représentations des différents acteurs qui interviennent dans l’accompagnement de l’enfant ou de l’adolescent autiste. Les problèmes soulevés par les situations de précarité seront tout particulièrement détaillés.